Mais le monde n'était pas prêt pour mon arrivée dans le numérique. Rappelons que les premiers appareils numériques pesaient une enclume pour deux cent mille pixels seulement, et coûtaient un bras et un bout de jambe. Autant patienter, vu qu'outre la tête, je préfère aussi conserver mes membres.
En attendant, les labos photo ayant disparu, je me suis mis à prendre des photos avec mon téléphone. Depuis un peu plus d'un an on parvient même à reconnaître les gens que je photographie: Halleluyah!
Mais à présent les gros numériques font 18 millions de pixels, arrivent à peu près à la cheville de mon antique Zenit tout manuel, et sont presqu'abordables. Il est temps de se remettre à la photo. Comme je n'aime guère les contraintes, j'ai opté pour une association de photographes qui me permettra d'apprendre sans que le Père Fouettard me donne des cours.
Je suis donc allé à ma première réunion de passionnés et futurs passionnés. Justement nous étions deux nouveaux futurs.
Éléphant dans un magasin photo livre 1
On nous a demandé de nous présenter. Romain d'abord : "Bonjour, je m'appelle Romain, j'avais envie de progresser au contact d'autres photographes, j'ai entendu parler de vous par une amie, comme appareil j'ai le marc 12280 modèle 5S triple embrayage à déclenchement à injection, et j'ai amené quelques photos, prises par hasard. C'est un peu concepteu, mais avec le logiciel de retouche (coutant deux mois de salaire) que j'ai, je n'ai pas pu les travailler plus" (il aimerait en changer, si quelqu'un a une petite réduction pour le logiciel valant un an de salaire moyen).
Suivent des photos qui représentent des nuages filés, il appelle ça la place de l'hotel de ville filtrée au dn5. Tout le monde s'extasie, c'est vrai que c'est un peu concepteu, moi je dis ce serait très beau comme photo abstraite dans mon entrée, à la place de ma photo de New York.
C'est à mon tour. "Je m'appelle Flavien, c'est un peu comme Romain, j'aimerais progresser, je prends des photos avec mon téléphone et je vous ai amené des photos de mon chat".
Silence très visuel, solitude intense.
Un participant dit timidement que ça peut être intéressant d'explorer ce qu'on peut faire avec des photos de téléphone.
Silence.
Le président indique que sinon, il vend un de ses anciens appareils, de 2005, pour seulement 400 Euros. Tout le monde a l'air soulagé comme si Carla Bruni venait de finir d'accoucher sous le sapin du Noël de l'Elysée devant les enfants. Le secrétaire de l'association scrute mes photos de très près, commente le manque de profondeur de champ, et me pose une question sur les données exif de la photo.
Les données quoi? Un autre participant me répond très lentement, en détachant les mots, que ce sont les détails de la prise de vue avec la vitesse, la focale, toutes les données de la photo, quoi.
L'évidence.
Avant de se quitter on rappelle les thèmes d'une prochaine fois, notamment on veut travailler sur le vertige en pose longue. Tout le monde trouve le thème excitant, je me sens décalé comme un échappé de l'asile.
Et me jeter du haut d'un pont, ça le ferait, pour le thème vertige?