Je ressens une véritable angoisse en ce moment : J'ai réalisé, à divers signes, que les livres sont en voie de raréfaction.
Bien sûr je supputais, ainsi que tout un chacun, l'imminence de la catastrophe. L'on allait un jour regarder un écran pour plonger dans l'univers d'un écrivain. Je suis même étonné que ça ait été si long. Mais c'est une chose de comprendre intellectuellement, et une autre de laisser mon instinctive comprenette en découvrir la réalité physique.
Ne plus sentir l'odeur de l'imprimerie, ne plus caresser la tranche, sentir le poids des mots dans ma main amoureuse lorsque j'ai fait mon choix! Depuis que j'ai quatre ans je lis quotidiennement. Mon père m'avait donné avant l'école le moyen de lui échapper à vie. L'objet de papier est devenu aussitôt mon compagnon imaginaire. Rien n'a jamais changé : mon Gabriel te dirait à quel point je suis diplomate, sauf quand on m'empêche de lire. Les livres ont été si souvent ma seule consolation, l'unique lien me retenant de sombrer, que je suis attaché à eux collectivement par le cœur.
Je sais que ce qui compte c'est le fond, peu importe la forme. Sur tablette d'argile, parchemin ou papyrus, papier ou lcd, la pensée du génie reste du génie.
Mais va dire cela à mon corps qui s'est accroché à des ouvrages trop grands pour lui, qui a serré avec émotion de petits poches, va convaincre la peau de mes mains qui ont tourné avec tendresse ces millions de pages! Mon inconscient est comme le nouveau-né qui se suspend au sein, il reconnait ce qui l'a nourri et dont sa vie dépend.
ND de parisJe m'adapterai, parce qu'il est des renonciations plus fondamentales, parce que je ne veux pas être puéril, parce que ça se fait, parce que le progrès n'attend pas, parce que la vie se vit, elle n'est pas dans les livres.
Quoique.
Je les ai vécus, ces rires qui illuminaient le papier, ces larmes qui déformaient les feuilles. Personne ne me les partageait à ce moment, il m'a fallu attendre d'être adulte pour les mêler à un être vivant, avant c'était avec la pâte de bois ou de chiffon, et la colle.
livre par David Monniaux licence ccJe ne suis pas Cosette, mais c'est son nom écrit à l'encre qui a fraternisé avec ma petite souffrance. Je ne suis pas Croc-blanc, mais c'est le dessin d'artiste de la couverture qui l'a matérialisé dans mes nuits sans sommeil d'enfant. Que ferai-je d'un écran qui s'efface, d'un tas d'électrons à la merci d'une variation électromagnétique? Où retrouverai-je le trèfle oublié dans mon espoir adolescent?
Oui, je l'avoue, je suis fétichiste. Sans honte je vais devenir collectionneur de livres
anciens, puis qu'ils le seront tous, de leur naissance post-Gutenberg à leur mort au début du troisième millénaire. Au moins, dans la bibliothèque, je pourrai baigner dans ma douce nostalgie, pour toujours puiser des forces au sein de la mer de papier relié. Et oublier le cri du livre qu'on assassine.
Permets moi encore une petite photo, comme une méthadone à un accro:
BibliothèqueEt à présent, pendant que je sens la flamme vacillante de mon courage, dis moi vite quel machin électronique je devrai adopter pour garder le contact avec mes écrivains chéris d'aujourd'hui et de demain.