vendredi 27 mai 2011

ESPRIT DE MAISON

Lorsque nous avons acheté cette vieille maison de 1810 au pied des Pyrénées, elle était plus que vétuste.
Dès notre arrivée, tout en habitant dans des conditions précaires, nous avons laissé l'entrepreneur faire des travaux. Il s'agissait de corriger la charpente et les autres défauts éventuels pour aménager l'étage de manière plus confortable.
Mes premières nuits ont été agitées, dans un environnement inhabituel. Si elles nous laissaient les jours, les araignées, souris et fouine considéraient que nos nuits leur appartenaient. Il y avait tant de bruits étranges que j'avais l'impression que la maison était pleine d'occupants. Malgré tous nos nettoyages acharnés et le bouchage de tous les trous de souris il régnait une ambiance fébrile et inquiète. J'en vins à parler bêtement tout seul dans la nuit (Gabriel est un pragmatique au sommeil solide). Je parlais à la Maison, comme un gosse dans sa cabane, lui affirmant qu'elle ne devait pas avoir peur de nous. En retour je recevais des sensations d'inquiétude, ou de triste ironie selon ce que je disais. En trente ans elle avait été squattée par un ouvrier agricole,  puis par un poivrot, et à moitié détruite par le voisin le plus proche. Je l'assurais que sa traversée du purgatoire, sans aucun entretien depuis les années 70, était finie. Je pressentais qu'elle ne me croyait pas, mais je finissais par me rendormir.
L'entrepreneur pensait s'appuyer sur le mur du pignon pour soutenir une poutre. Mais dès le premier coup, tout le bas s'effondra. La maison avait perdu l'un de ses quatre murs! les chevrons et poutres anciennes restaient bêtement accrochés dans le vide, et on ne savait par quel miracle ni le plancher du premier étage, ni le toit de la maison ne bougèrent. L'entrepreneur était perplexe mais fort de quarante ans d'expérience, il fit rapidement placer des dizaines d'étais qui servirent de béquilles dans toute la maison. Ce jour-là, lui et son équipe travaillèrent comme des forçats. La nuit, en plus de la sensation d'inquiétude diffuse que je recevais de l'extérieur, j'avais réellement peur que la maison s'écroule sur nos têtes.
Les travaux durèrent quatre mois, mais enfin un jour nous pûmes envisager de quitter la salle à manger du rez de chaussée et inaugurer notre nouvelle et spacieuse chambre du premier étage. Je me disais qu'avec mes peurs justifiées ou non, la compagne imaginaire de mes insomnies allait faire ses valises.
hebergeur image
Esprit de maison fantôme domaine public
Le grand lit trônait au milieu et avant de s'endormir, nous nous congratulâmes de la réussite de nos travaux et du sauvetage de la maison.
Mais je me réveillai à trois heures du matin en sentant une caresse très douce sur mes cheveux et mon cou. Je me retournai, pensant que Gabriel avait un élan de tendresse nocturne, mais il dormait. Et il y avait un parfum féminin qui flottait dans l'air. De plus je sentais nettement un présence, comme si quelqu'un était penché sur moi. Quelqu'un de bienveillant, avec une sensation de soulagement, ou de reconnaissance.
Curieusement, alors que mes insomnies le laissent d'ordinaire de marbre, Gabriel s'éveilla dans l'obscurité.
- Qu'est-ce que ça sent?
- Je n'en sais rien, tu sens aussi?
- Oui, on dirait un ancien parfum. J'éclaire.
L'odeur,forte, masquait celle du plâtre, du ciment et de la peinture. Elle rappelait la violette et le jasmin, des fleurs à coup sûr. En plein mois de décembre, dans une maison ou les seuls cosmétiques stockés étaient des déodorants masculins, c'était étrange.
Gabriel, tout à fait réveillé et intrigué, essayait de déterminer l'origine de l'odeur. Elle n'était qu'autour du lit. Et pas dans le lit. C'est lui le premier en rigolant qui parla de fantôme. Moi je faisais l'innocent qui découvre l'existence d'un phénomène inconnu et qui n'a jamais tenu de longs monologues nuitamment avec une présence éthérée. Imaginatif, mais pas fou, hein.
Après un tour de la maison et quelques dizaines de minutes à conjecturer, on se rendormit. Par la suite les amis de passage et moi-même dormirent très bien dans cette maison, du sommeil du juste. A leur surprise pour les insomniaques. Depuis, nous avons transmis la maison, et le pavillon des années 70 qui nous abrite à présent ne manifeste rien, malgré son passé tragique et mon imagination hypersensible.
Si fantôme il y a, il est resté là-bas, avec son parfum désuet et ses états d'âme.

18 commentaires:

  1. C'est à la fois flippant et touchant, beau, presque rassurant...

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  2. Dans un monde trop cartésien cela fait du bien de lire ce genre d'anecdote. Je me demande comment je réagirais d'ailleurs si cela m'arrivait.

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  3. L'imagination est d'une puissance souvent insoupçonnée. Et ton histoire est terriblement intrigante. En plus elle est comme toujours très bien racontée !
    Oh et puis tiens, moi j'y crois à cette présence...

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  4. Ha mais moi j'y crois. Une nuit enfant quelqu'un est venu frotter son visage sur le mien. Le lendemain matin après avoir questionné mon père je n'ai pas eu d'explication, ce n'était pas lui. Le visage de la nuit avait une barbe.

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  5. Quelle belle histoire !
    Moins dramatique qu'Amityville :)
    Les maisons ont une âme, et peut-être qu'elle était heureuse que ce soit vous les nouveaux propriétaires !
    J'ai ressenti de drôle de choses dans de vielles maisons, mais chut, on va se moquer de moi :)
    Violette et jasmin, mais c'était peut-être moi,dans une autre vie, qui sait....
    J'aime beaucoup lorsque tu écris !!!
    Bisous et bon week-end à vous deux !

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  6. GLIMPSE : Je suis très sensible aux lieux, crois-moi, si ç'avait été vraiment flippant on n'aurait jamais emménagé là-bas! Je ne me suis jamais senti menacé, mais ému oui.

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  7. TAMBOUR MAJOR : J'imagine qu'il y a encore de très nombreuses choses à explorer dans ce monde que l'on croit connaître. De nombreuses découvertes scientifiques sur la physique et le cerveau humain sont à venir.

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  8. EK91 : Avant cette expérience je n'avais jamais pensé à l'imagination olfactive. Surtout partagée à deux! On n'en a jamais reparlé mais je pense que Gabriel y croit aussi.

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  9. PASCALR : C'était donc toi? lol.
    Plus sérieusement, ce qui est troublant c'est que ce genre d'expérience reste unique. Avant, ça ne m'était jamais arrivé, et depuis non plus. Juste cette maison-là. On pourrait pourtant s'attendre à ce qu'un trouble hallucinatoire se reproduise chez la même personne, avec les mêmes causes "médicales", mais non.

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  10. VIRGINIE : A une époque j'étais friand d'histoires d'horreurs, d'autant plus que je n'y croyais pas une seconde. Ce qui est constant chez moi, c'est que je ressens des ambiances positives ou négatives dans des maisons ou des lieux. Personne ne s'est jamais moqué de moi, parfois des gens m'ont dit "ah, je le savais". Mais c'est plus proche du feng shui que du spiritisme.
    Je doute que tu mettes un parfum aussi vieillot que celui-là. Le plus drôle c'est qu'on l'a senti chaque matin au réveil pendant des jours. Il se dissipait rapidement ensuite.

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  11. Bon alors si j'ai bien compris, vous serez le premier couple gay à être canonisé !!:))

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  12. NIGLOO : Voilà, c'était le but!

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  13. Je crois que par curiosité j'aurais tenté de prendre contact l'air de rien avec les occupants suivants pour savoir si à tout hasard eux aussi... mais peut-être l'as-tu fais.

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  14. JOSS : HAHA! Oui, j'imagine le dialogue : "Madame, Monsieur, je crois que la maison que je vous ai vendue est hantée!
    - Venez, Monsieur, des gens très gentils habillés en blanc vont s'occuper de vous."
    Non non il n'y a que dans ce blog que j'accepte de passer pour un dingue.

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  15. Et donc, nous avons appris le prénom de doudou^^

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  16. DEEF : chut c'est un secret.

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  17. Ca me rappelle la fois ou j'ai voulu chasser le démon de mon studio à coups d'encens et de sel... Un grand moment... !!

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  18. KWAN : ce devait être drôle.
    Je n'aime que les esprits de bonne volonté. Les démons sont priés de ne pas se manifester.

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