dimanche 4 septembre 2011

UN DETAIL SANS IMPORTANCE

Je n'avais pas vu mon cousin depuis mes vingt ans. 
Après la révélation  de mon homosexualité, mes parents m'ont interdit de fréquenter la famille. Il faut avouer que j'avais manqué de tact. Il faudrait faire son coming-out lorsque la maturité rend moins impatient, moins revendicatif. Lorsqu'on est sûr de soi au point de supporter leur silence, leur rejet, leurs protestations comme leurs menaces. Sans parler de leur culpabilité ou de leurs plaintes. 
Lorsqu'ils m'ont expliqué combien ils désaprouvaient mon "choix", j'en ai en effet profité pour leur dire à quel point leur façon de me traiter avait été nulle, et ce depuis mes trois ou quatre ans. Déplacer le sujet a un peu soulagé ma colère. Ils ont nié tout mes souvenirs en bloc, m'ont traité d'affabulateur. Comme si entre trois et douze ans la mémoire n'était pas fiable. Il est vrai que la plupart des anciens enfants battus, abusés ou déracinés de leur foyer ont tendance à avoir honte de ce qu'ils ont subi. Je luttais donc contre une triple honte, et en réalité ne pas chercher à voir les membres de ma famille proche ou lointaine m'arrangeait. 
J'ai passé plusieurs années à retrouver les preuves de tout ce dont je me souvenais. Pas pour faire un procès à mes géniteurs, mais pour confirmer la solidité de ma mémoire. Mieux vaut se baser sur une enfance ruinée que douter de sa santé mentale toute sa vie. Puis le temps a passé. Mes parents sont lentement devenus des êtres pathétiques et déséquilibrés, comme ma soeur.

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 Un détail sans importance livre 1 toile de Franz Marc domaine public
Je les fréquente maintenant davantage, même si parfois leur coté immature m'agace encore. Nous ne parlons plus du passé, mais ils sont toujours dans le déni. Il arrive que ma mère devant des relations explique mon attitude un peu lointaine par une vague ingratitude, un gène égaré de froideur. 
Ils m'ont prié de me joindre aux grandes réunions familiales, ce que j'ai fait. Du coup je revois mon cousin depuis peu, ainsi que ses frères et soeurs. Lorsqu'il a insisté pour que je le rejoigne dernièrement à l'occasion de sa visite chez mes parents, j'ai accepté. Ca s'est bien passé, sa femme et ses deux petites filles (6 et 4 ans) sont adorables. 
Après le repas, et la vaisselle, nous étions, mon cousin, ma mère, et moi dans la cuisine, à prolonger un moment de calme. Il disait à ma mère à quel point il admirait leur restauration de cette maison ancienne. Il y a eu un long silence et à ce moment ma mère a dit "Oui, nous étions plus doués pour la maçonnerie que pour l'éducation". Elle ne regardait aucun de nous deux, mais fixement le mur. Après l'avoir observé avec surprise, mon cousin s'est tourné vers moi d'un air interrogateur. Le silence s'est prolongé, je n'ai rien trouvé à dire, rien de rien, j'avais le cerveau complètement vide. 
Pourquoi maintenant, pourquoi devant mon cousin, et qu'est-ce que je dois faire de ça? 
Gabriel m'a juste dit que c'était incroyable qu'elle ait enfin sorti un truc pareil. Peut-être. 
Ou alors c'est un détail sans importance.

22 commentaires:

  1. Profite de tes petites cousines et/ou de tes neveux et nièces. Profite du reste de la famille, comme ton cousin, qui semble nettement plus tolérant.
    Le reste, tes parents et leurs œillères, pff... laisse tomber, ça leur appartient.

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  2. Je trouve que c'est un aveu bouleversant. Je crois qu'il est plus facile de dire des choses importantes au détour d'une conversation a priori anodine, pour éviter la pesanteur et la dramatisation.
    Entre aveu incroyable et détail sans importance, j'ai choisi sans détour.

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  3. oui profite, les oeilleres ca reste ancrés

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  4. DEEF :
    C'est incroyable comme avec certaines personnes de la famille les relations sont récentes et simples, et avec ma sœur ou mes parents anciennes et d'une complexité extrême.
    Je viens de revoir mes parents, mais la fenêtre de lucidité est refermée...

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  5. ENDIM : Je pense aussi que la conversation anodine et la présence de mon cousin lui a permis de lâcher sa bombe. Je penche donc pour ton interprétation.
    Reste à savoir si une discussion me ferait plus de bien que cet aveu éphémère. Et si l'occasion se présentera.

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  6. FIUUU : Je te confirme, les œillères restent bien ancrées.
    Donc je profite, avec d'autres.

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  7. les parents, c'est comme le bon vin, ça s'améliore avec l'âge, mais ça peut aussi tourner en vinaigre!!^^
    L'important, c'est l'avenir, la jeunesse!!

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  8. si ce genre de moments peut te rapprocher de ton cousin, tu peux y trouver, au moins, cette importance-là.

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  9. Ta mère est dans le déni. Mais certaines choses doivent la grattouiller malgré tout. Un petit détail insignifiant, peut être. J'y vois davantage une brèche qu'elle tentera peut être de colmater. Tu n'y peux rien, ni dans un sens ni dans l'autre. Alors je dirais comme mes prédécesseurs : profite de ces instants pour tisser des liens avec ceux qui te portent de l'intérêt et de l'affection. C'est le plus important.

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  10. NIGLOO : Avec les miens, il y a du vinaigre et du miel avec l'âge: tiens, du vinaigre au miel!
    Je vis au présent. Enfin j'essaye.

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  11. JOSS : Tu ne sais pas si bien dire. J'apprends, pas à pas, à avoir des relations avec le reste de ma famille. C'est en bonne voie.

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  12. TAMBOUR MAJOR : Je crains qu'elle ne retourne durablement dans le déni, Tant pis. Ce n'est pas sur elle que je compte pour continuer à équilibrer ma vie qui l'est déjà pas mal.
    Mon bonheur ne saurait dépendre en quoi que ce soit de mes parents. Les déceptions qu'ils m'occasionnent désormais sont de courte durée, je ne donne plus guère prise. Avec mon conjoint, les amis, les cousins et nièce je n'ai jamais été aussi bien entouré.

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  13. Si personne ne lui a demandé, difficile de savoir à quoi elle pensait : ça peut être quelque chose qu'elle regrette d'avoir fait, tout comme ça peut être quelque chose qu'elle te reproche persuadée qu'elle n'aurait pu agir mieux. On ne choisit pas ses géniteurs, on choisit seulement les gens dont on s'entoure... Profiter du présent est ce qu'il y a de mieux à faire en effet.

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  14. LOUP : Personne ne lui demandera. Je suis persuadé qu'ils ont fait ce qu'ils ont pu avec la merde qu'ils avaient dans la tête, et s'être débarrassés de moi en pensionnats a été le meilleur service à me rendre. je suis moins atteint que ma sœur grâce à cela.
    Carpe Diem

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  15. Merci pour ce texte. Je vois donc à quoi tu as utilisé ce dimanche.
    J'aime ces instants de vie.
    Je n'aime pas les bars de Paris où parler est difficile.
    Mais bon, je m'y ferai.
    JJ

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  16. Tu m'inquiètes avec les renvois à ta sœur.
    JJ

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  17. ANONYME : Quand je pense à mes vingt ans, je vois que je reviens de loin. Ouf.
    Tout ça n'a plus tant d'importance.

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  18. ANONYME : Je n'ai pas tant de renvois que ça. Je digère très bien la situation.
    Lorsqu'elle est en HP je lui apporte des chocolats. C'est dire (en général c'est moi qui les mange, elle prétend que cela interfère avec je ne sais quels inhibiteurs de sérotonine).

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  19. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un détail sans importance. Plutôt une perche tendue. Une perche amère et pleine de regrets.
    La balle est dans ton camp maintenant. S'agit-il de libérer la conscience de ta mère ou de te permettre d'exorciser certaines souffrances? A toi de décider.

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  20. DITOM: Je ne peux pas exclure évidemment que ce soit pour libérer sa conscience. Et que pour l'instant je n'aie pas envie de saisir l'éventuelle perche faiblement tendue. En supposant que l'opportunité existe. Je devrais me mettre en position d'écoute bienveillante ce qui est au dessus de mes forces.
    Je crois que ce qui reste de mon passé à l'intérieur de moi ne peut être géré que par moi. Et puis j'ai aussi besoin de vivre ma vie. Faire la folle ou le sage, tu vois ce genre de choses, être ce que je peux au quotidien pour moi et mon entourage. Mais la question mérite d'être posée

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  21. Ma lecture de la phrase de ta maman est qu'elle semble se reprocher ne n'avoir pas "su" comprendre son (ses) enfants Pour moi elle s'adresse des reproches à elle-même Mais je me trompe peut être ?

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  22. EK91: en effet je pense qu'elle a reconnu fugitivement avoir eu des torts vis à vis de ses enfants. Mais crois moi s'il n'y avait eu que des incompréhensions, ça fait longtemps que ce serait résolu.

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