mardi 28 décembre 2010

UN SOIR DE NOEL

Gabriel retrouve un usage immodéré du mot "non" dès que j'évoque sapins ou guirlandes. Et ce n'est pas pour lui une question de mode, car entre les cartons de vieilles décorations rouges et vertes du grenier et mes velléités de bleu, noir et argent, il a le choix. La question, c'est que nous nous sommes bien trouvés. Je n'insiste pas parce que je ne le ferais que par convention.
Des familles vaguement méprisantes pour le rejeton numéro deux un peu trop olé-olé, une ambiance de Noël qui se traduisait plus par un air de punition que par une musique de fanfare, et nous avons développé dans l'enfance une indifférence à la fête au sapin.
De nos jours, mes parents organisent deux repas de Noël.
Le 24 au soir en famille, sans moi. Ça date de l'époque où il ne fallait pas que le reste de la famille sache, pour moi. J'étais intransigeant, je ne voulais pas venir sans mon copain. Je revois mon oncle depuis un an, mais le système perdure, je ne suis pas invité. Les "gros" cadeaux s'échangent sans doute là.
Puis début janvier, un deuxième repas un dimanche midi me permet d'être avec les mêmes... Les cadeaux que je reçois n'ont rien à voir avec ma personnalité, par exemple je ne lis pas de livre de prosélytisme religieux. Ce jour-là, ma sœur m'évite, mes parents font une figure désolée, la nièce que je vois est chaleureuse mais étonnamment muette. Mon autre nièce, que je ne fréquente pas, est mondaine avec moi, elle m'invite à la voir "plus souvent" mais en huit ans elle ne m'a ouvert sa porte qu'une fois.
Ce repas est une corvée, Gabriel dit que toute personne sensée qui débarque chez eux ce jour-là voit de suite qu'ils sont tristes et complètement névrosés. Je gère généralement le réchauffage des plats, le service et la vaisselle, en embauchant les plus jeunes, ça m'occupe un peu. Chaque année je me dis que je vais mettre les pieds dans le plat et déclencher l'opération vérité. Cela prouve que je suis aussi névrosé qu'eux, dans un autre genre. Car à part des mensonges gênés et des silences pesants je n'en obtiendrais rien.
C'est un peu le même genre du coté de Gabriel. Nous n'avons donc pas trop l'esprit de Noël.

Duffy : don't forsake me (son très mauvais au contraire du cd)
Ma maison est tout de même ornée d'une guirlande lumineuse, parce que la plupart de celles de la place sont illuminées. Les voisins nous acceptent tels que, je pense qu'ils le méritent.
Nous sommes donc convenus, Gabriel et moi, de ne pas nous faire de cadeaux pendant les fêtes, mais de nous bâfrer et d'écumer la vidéothèque domestique. De cette façon il n'y a pas de rappel douloureux, et on est un peu dans le ton quand même. Nous avons appliqué à la lettre ce programme ces dernières années, mais vendredi soir, tout se passait bien jusqu'à ce que...Gabriel me demande un arrêt sur image.
J'actionne la télécommande sans déranger la chatte lovée sur mon pull, et en attendant le retour de la chienne et du fumeur, je zappe sur les ennuyeux écrans des chaînes tnt. A ma grande surprise il revient avec deux paquets-cadeaux, qu'il met dans ma main paralysée.
Je regarde l'heure : minuit pile. Je retourne vers sa tête, il est hilare, très fier de son effet. Je bégaye. Puis j'ouvre les papiers, et je le regarde du coin de l'œil. Il a l'air inquiet, quand même. Il a tort, je suis touché. Ce sont cinq livres, tous mieux choisis les uns que les autres. Un essai d'un vrai philosophe, le genre de livre que je suis seul à pouvoir m'acheter. L'autobiographie d'Edmund White, auteur culte. Une biographie du régent, personnage historique dont nous avons parlé il y a six mois. Et deux romans grand public d'écrivains que je suis. Je me jette sur lui, ce qui met fin à son inquiétude.
Le film a affiché un arrêt sur image de deux heures dix sept, et "Ghost" a repris. Très bon film pour Noël, finalement.
J'ai rongé mon frein samedi et dimanche, et lundi j'ai dévalisé le rayon disque pour lui faire deux cadeaux à mon tour. Le premier ce sont les disques de pop et de jazz qu'il aime. Le deuxième c'est de me taire pendant les soixante-dix premières écoutes en boucle avant de demander grâce.
Et maintenant, trois jours après, je ne sais plus où j'en suis. Où en est ma déprime de Noël? De toute façon en ce début de soirée plus personne sur la place n'arrive à réfléchir, car le volume de la chaîne hifi à fond dans la pièce à coté bloque tous les cerveaux à deux cents mètres à la ronde. Je ferais bien de prévoir une deuxième guirlande pour l'an prochain.
Il est temps que je te souhaite de très bonnes fêtes de fin d'année.

12 commentaires:

  1. On aime tous recevoir des cadeaux, se sentir aimé, compris, accepté, pouvoir et savoir comment faire plaisir aux autres.
    Et c'est tellement paralysant de bonheur chaud et enivrant que de voir qu'au moins une (sinon une seule, justement) personne est capable de faire les bons cadeaux, et tout le reste.
    Encore plus le jour de Noël, alors qu'on ne le fête plus, car quoi qu'on dise et quelque soit la situation familiale, on a tous été enfant, et on voudrait tous retrouver, pour cette soirée, nos yeux de mômes.

    Joyeux noël.
    bises

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  2. ANTOINE : Donner et recevoir est incroyable. Il y a une telle différence entre celui qui te fait un cadeau en pensant vraiment à toi, (même si ça ne tombe pas juste, peu importe) et des gens qui t'achètent ce que eux aiment, parce que s'ils n'offraient rien ça se verrait...La vérité c'est que c'est encore mieux que l'enfance. On va finir par faire un sapin, l'an prochain. Et trouver comme tu dis des yeux de mômes! Joyeuse fin d'année à toi. Bises.

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  3. deux heures dix-sept???? bin c'est long pour un "vieux couple" !!!;-)
    A mon avis vous n'avez pas fait que "philosopher"!!!
    Bonne fin d'année à vous deux!!;-)

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  4. NIGLOO : Oui, que veux tu, quand on philosophe au clair de lune on ne voit pas le temps passer, quelque soit l'âge du couple.
    Mais après au lieu d'aller finir la nuit en soirée branchée, les vieux couples regardent un film à la télé. Bonne fin d'année à toi et aux tiens!

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  5. cette deuxième partie de billet, ça donne envie de sourire. Elle est tout de même là où on ne l'attend pas, la magie de Noël

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  6. JOSS : Inattendu, oui. Je pensais qu'une critique cinéma occuperait le blog jusqu'à l'an prochain, mais finalement il y a un billet de Noël.

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  7. Au-delà de tous les commentaires que je pourrais écrire, c'est celui-ci qui me vient: c'est fou ce que tu (d)écris bien. Noël n'est pas une période facile... Moi je serais plutôt comme Gabriel: ne prendre que le meilleur. Un peu d'amour...Et de cadeaux (diamond's are a girl best friends).
    Des bises de noël

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  8. DITOM : je suis un peu troublé, car Gabriel a aussi reçu depuis... un coffret Diamonds(Armani)! But he's not a girl (beurk).
    Mais je suis heureux de participer à la corvée: c'est grâce à elle que je peux rire avec ma nièce, quand on se voit désormais en dehors de la famille. Qui sait ce que ce repas ennuyeux me réserve d'autre comme bonnes surprises dans l'avenir?
    Bises de fin d'année à toi

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  9. Voilà une expérience à retenter à une autre période : se faire un cadeau (petit) pour se dire qu'on s'aime et qu'on tient à l'autre tout simplement. Pas besoin de Nowel pour ça.

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  10. EK91 : Ça on pratique! J'adore ces expériences-là, on ne se prend pas la tête avec des fêtes obligatoires.
    Parfois la seconde d'avant on ignore que l'on va faire quelque chose, et l'instant d'après l'idée d'un cadeau s'impose.

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  11. Chatounette a bien de la chance d'avoir des maître tels que vous deux.

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  12. TAMBOUR MAJOR: oui, en ce moment, Chatounette a bien de la chance de ne pas passer par la fenêtre lorsqu'elle démontre avec éclat qu'elle est dans l'âge ingrat. Mais quand elle ronronne et qu'elle se love sur nous, on fond quand même.

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