vendredi 12 août 2011

AFFECTION SANS LIMITES

On était en Belgique, à Bruxelles, Pierre et Yvonne n'avaient plus vingt ans. Pourtant leur plaisir de vivre rayonnait, proportionnel aux presque soixante années qu'il avait déjà passées ensemble.  Ce jour-là j'étais invité, ils m'avaient accueilli avec une aimable hospitalité. En ce milieu de matinée nous bavardions à bâtons rompus.
- Et tu fais quoi, maintenant?
- Je suis ingénieur commercial, dans l'informatique.
- Ah, ce doit être très intéressant! Et ta mère, toujours aussi dynamique?
- Oui, elle ne change pas, par monts et par vaux. Personne n'arrive à la suivre, j'ai renoncé depuis longtemps.
- Qu'est-ce que tu as grandi! Tu as trouvé un métier?
Pierre posa doucement une main noueuse sur l'avant-bras d'Yvonne.
- Mais il nous l'a dit, Yvonne. Il est technicien! Dans les ascenseurs.
Il souriait gentiment. Je n'ai pas osé le contredire.
- Ah oui, c'est vrai. Où en étions nous, déjà?
 A un moment donné Yvonne suspendit la conversation pour dire qu'elle avait une petite faim. Elle s'excusa en rappelant qu'en se réveillant comme les vieux aux aurores, à dix heures le petit déjeuner était déjà loin. Aussitôt Pierre se leva, lui demandant ce qui lui plairait.
- Je prendrais bien une tartine, avec du beurre et de la confiture, et un verre de jus d'orange.
- Je te prépare ça de suite.
Et il s'empressa vers la cuisine. La discussion reprit en attendant. Dix minutes après, une délicieuse odeur de fines herbes grillées se répandit. Pierre revint bientôt avec dans les mains deux assiettes couvertes d'une superbe omelette, accompagnées de biscottes. Elle déclara en le regardant avec amour:
- Oh, c'est exactement ce que je voulais. Mais tu as oublié...le petit verre de blanc!
Pierre se précipita et revint avec deux verres à demi-pleins de vin blanc.Tout en mangeant, il l'observait avec ravissement. Elle ne cachait pas son plaisir, lui jetant de temps en temps un coup d’œil joyeux.
Moi seul, avec mon jeune âge, avais détecté quelque chose d'étrange.
Il restait dans l'air une tendresse détachée du réel, libérée du temps et de la mémoire.
Quelque chose comme une affection sans limites.

12 commentaires:

  1. Beaucoup de tendresse pour celle dont le quotidien se dessine en pointillés. Touchant, et juste.

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  2. TAMBOUR MAJOR: Les pointillés s'espacent, mais ils ne sont pas remplacés par du vide. Parfois c'est le quotidien qui résiste le mieux.

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  3. Bon, j'ai les oeufs, le pain grillé, le p'tit blanc......il me manque rien!!:)

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  4. NIGLOO : Oui, mais toi c'est pas Yvonne, c'est Simone, je sais pas si ça compte!

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  5. C'est plein de tendresse et magnifiquement écrit, bravo!

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  6. Terrible cette maladie, un vrai fléau

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  7. C'est à la fois très beau et triste, j'aime beaucoup.

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  8. JONATHAN : C'est l'impression que j'ai eue, surtout très doux en fait.

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