Il n'existe que deux manières de gagner la partie : jouer coeur ou tricher.(Jean Cocteau)
samedi 13 février 2010
AMOUR DURABLE
Libellés :
récit autobiographique
A Paris, un jour de distraction habituelle j'avais une fois de plus oublié mes clés et je dus attendre plusieurs heures le retour d'Oscar devant la porte du studio. Pris d'une envie imminente je grimpai au 6ème où l'on m'avait dit qu'il y avait un wc de palier. Le couloir des chambres de bonnes était encore plus délabré que l'escalier de service dont nous dépendions, même le plancher évoquait plus une grange qu'un lieu d'habitation.
Pourtant l'odeur était acceptable, il y avait du papier et c'était propre. Je m'enfuis néanmoins mon forfait accompli, avant qu'une des portes vétustes s'ouvre.
A 22 ans j'étais sorti de la galère et notre studio devait être un palace au regard de ces chambres là.
Je partageais la corvée de poubelles avec Oscar, et je croisais un matin sur deux le vieux monsieur de l'immeuble. Poli et un peu froid, mais je l'étais aussi, il ne manquait jamais de me saluer de son cabas, avec un murmure étouffé. Je lui donnais 80 ans mais son imperméable clair n'avait plus d'âge.
Et puis un jour, il s'est arrêté devant moi, me bloquant le passage. La voix tremblait un peu, il voulait savoir si avec mon ami, nous accepterions de venir prendre un porto chez lui. Nous convînmes du samedi après midi et il me décrivit la septième porte du dernier étage, où nous devions frapper. J'avais un peu peur, mais Oscar était d'un naturel plus confiant. Nous avons acheté des chocolats et opté pour le jean et la simplicité.
La porte ouverte, notre surprise a été grande. C'était vaste et raffiné. Il avait réuni trois chambres de bonnes et des tapis d'orient couvraient le sol. Des tentures cachaient les portes d'origine et les meubles fleuraient bon la cire. Un écran géant dernier cri trônait devant le lit et le fauteuil voltaire. La bibliothèque était garnie jusqu'au plafond. Il nous entraîna dans le coin salon, et nous servit son porto dans de délicieux petits verres taillés.
Il s'enquit d'abord de notre histoire d'amour d'une année, comme pour se confirmer que ces deux petits jeunes là étaient bien de la famille, puis nous avoua qu'il n'avait pas eu l'occasion de parler vraiment depuis plus de sept ans. Un fin brouillard passa sur ses yeux, et je remarquai leur bleu splendide.
Il n'y eut plus qu'à écouter.
Il avait rencontré son compagnon avant la guerre, la deuxième. Chez des Amis, bien sûr, dans ces années là. Puis ils avaient traversé ensemble la guerre, la démobilisation, les années cinquante, soixante, quatre vingt. Ils avaient vécu dans la joie, la discrétion, les difficultés, les hauts et bas mais surtout la joie.
Cinquante cinq ans d'amour profond et sincère.
Non, nous ne pouvions même pas imaginer.
En redescendant nous étions silencieux. Je pensais aux Jean, Marais son alter ego, Cocteau et Genêt ses mentors, aux années folles. De l'Histoire.
Cinquante cinq ans, c'est ce qu'il voulait qu'on retienne. J'ai retenu.
13,5
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
C'est une très belle histoire encore une fois!
RépondreSupprimerEt 55 ans, c'est tout ce qu'on peut te souhaiter avec ton homme, n'est ce pas?
Longue vie à vous deux! Et bonne saint valentin (^^)
Très belle histoire... Pouvoir se retourner un jour en se disant 55 ce n'est pas courant. Peut-être que nous serons cet homme là un jour... Je te le souhaite. À moi aussi;)
RépondreSupprimerKINDGAY : A condition d'être au moins aussi bien que maintenant, c'est clair. Longue vie et heureuse rencontre à toi.
RépondreSupprimerDITOM : On se le souhaite,t'as raison. Tu sais que j'ai pas pu laisser de commentaires sur ton blog, ils sont retournés en sommeil?
C'est marrant parce que, un instant, j'ai imaginé la scène d'un point de vu personnel, avec mes voisins cathos-intégros, qui ne me disent plus bonjour depuis qu'ils m'ont vu embrasser un garçon sur le pallier de l'immeuble ... lol, je devrais leur proposer un petit verre de vodka un de ces jours !! ^^
RépondreSupprimerBASTOCHE : Hoho!En imagination seulement! Je vois d'ici la conversation...
RépondreSupprimerOuahou c'est beau !!! et ça donne de l'espoir. J'espère que vous allez le revoir le petit vieux !!!
RépondreSupprimerFABISOUNOURS : OUI ça nous a donné de l'espoir, j'y pense encore, la preuve!
RépondreSupprimerQui a dit que les couples gays étaient instables?
RépondreSupprimer@ Bastoche:
Un kiss-in sur ton palier?
Tes charmants voisins vont défiler en criant "Habemus Papam".
Ou alors c'est de la jalousie,ils veulent aussi un bisou !!!. lol
NACHU : si les braves gens nous laissent en paix, il y a de l'avenir pour les couples gays.
RépondreSupprimerCette histoire, magnifiquement racontée, confirme qu'il est des moments magiques à ouvrir la porte aux personnes agées qui ne demandent qu'à partager leurs souvenirs, leurs histoires ...
RépondreSupprimerJe cède facilement à la tentation de les laisser me prendre par la main pour cheminer dans leurs vies.
TTO : Cédons, cédons, et la vie est plus légère...
RépondreSupprimer55 ans... J'en suis à 3 avec le mien, on a encore du chemin à faire. :) Si on vit trèèèès vieux. ;)
RépondreSupprimerJolie rencontre, en tout cas.
Ô. D'EVIAN : Oui, mais vous bientôt ce sera cinquante cinq pays, ça remplace, non?
RépondreSupprimerRien de plus que les commentateurs précédents, c'est une très belle histoire.
RépondreSupprimerC'était une belle rencontre, inattendue.
RépondreSupprimer