Dès notre arrivée, tout en habitant dans des conditions précaires, nous avons laissé l'entrepreneur faire des travaux. Il s'agissait de corriger la charpente et les autres défauts éventuels pour aménager l'étage de manière plus confortable.
Mes premières nuits ont été agitées, dans un environnement inhabituel. Si elles nous laissaient les jours, les araignées, souris et fouine considéraient que nos nuits leur appartenaient. Il y avait tant de bruits étranges que j'avais l'impression que la maison était pleine d'occupants. Malgré tous nos nettoyages acharnés et le bouchage de tous les trous de souris il régnait une ambiance fébrile et inquiète. J'en vins à parler bêtement
L'entrepreneur pensait s'appuyer sur le mur du pignon pour soutenir une poutre. Mais dès le premier coup, tout le bas s'effondra. La maison avait perdu l'un de ses quatre murs! les chevrons et poutres anciennes restaient bêtement accrochés dans le vide, et on ne savait par quel miracle ni le plancher du premier étage, ni le toit de la maison ne bougèrent. L'entrepreneur était perplexe mais fort de quarante ans d'expérience, il fit rapidement placer des dizaines d'étais qui servirent de béquilles dans toute la maison. Ce jour-là, lui et son équipe travaillèrent comme des forçats. La nuit, en plus de la sensation d'inquiétude diffuse que je recevais de l'extérieur, j'avais réellement peur que la maison s'écroule sur nos têtes.
Les travaux durèrent quatre mois, mais enfin un jour nous pûmes envisager de quitter la salle à manger du rez de chaussée et inaugurer notre nouvelle et spacieuse chambre du premier étage. Je me disais qu'avec mes peurs justifiées ou non, la compagne imaginaire de mes insomnies allait faire ses valises.

Esprit de maison fantôme domaine public
Le grand lit trônait au milieu et avant de s'endormir, nous nous congratulâmes de la réussite de nos travaux et du sauvetage de la maison.
Mais je me réveillai à trois heures du matin en sentant une caresse très douce sur mes cheveux et mon cou. Je me retournai, pensant que Gabriel avait un élan de tendresse nocturne, mais il dormait. Et il y avait un parfum féminin qui flottait dans l'air. De plus je sentais nettement un présence, comme si quelqu'un était penché sur moi. Quelqu'un de bienveillant, avec une sensation de soulagement, ou de reconnaissance.
Curieusement, alors que mes insomnies le laissent d'ordinaire de marbre, Gabriel s'éveilla dans l'obscurité.
- Qu'est-ce que ça sent?
- Je n'en sais rien, tu sens aussi?
- Oui, on dirait un ancien parfum. J'éclaire.
L'odeur,forte, masquait celle du plâtre, du ciment et de la peinture. Elle rappelait la violette et le jasmin, des fleurs à coup sûr. En plein mois de décembre, dans une maison ou les seuls cosmétiques stockés étaient des déodorants masculins, c'était étrange.
Gabriel, tout à fait réveillé et intrigué, essayait de déterminer l'origine de l'odeur. Elle n'était qu'autour du lit. Et pas dans le lit. C'est lui le premier en rigolant qui parla de fantôme. Moi je faisais l'innocent qui découvre l'existence d'un phénomène inconnu et qui n'a jamais tenu de longs monologues nuitamment avec une présence éthérée. Imaginatif, mais pas fou, hein.
Après un tour de la maison et quelques dizaines de minutes à conjecturer, on se rendormit. Par la suite les amis de passage et moi-même dormirent très bien dans cette maison, du sommeil du juste. A leur surprise pour les insomniaques. Depuis, nous avons transmis la maison, et le pavillon des années 70 qui nous abrite à présent ne manifeste rien, malgré son passé tragique et mon imagination hypersensible.
Si fantôme il y a, il est resté là-bas, avec son parfum désuet et ses états d'âme.